SNAP Canada

Écho de la terre

CET ARTICLE A ÉTÉ PUBLIÉ DANS LE NUMÉRO D’AUTOMNE 2021/HIVER 2022 DE TOUTE NATURE.

Elle nous a élevés tous égaux
Mais par l’ego de certains
Nous nous sommes divisés
Divisées les nations, divisée la terre
Diviser pour mieux régner

C’était le début de la fin de l’ancien monde
Ce monde auquel je rêve
J’espère un jour le vivre
Peut-être dans une autre vie, sur une autre planète
Où je pourrais vraiment être qui je suis

Je suis fatiguée de survivre à contre-courant
Prise entre les rapides de la vie et les nombreux portages qui mènent à d’autres défis

Rivière ma soeur
Je lui parle de tout ce que je ressens
C’est comme si elle avait le pouvoir d’apaiser mes tourments
Nager dans ses eaux parfois calmes parfois tumultueuse
Chaque fois je me sens revivre comme bercée dans les eaux du ventre de ma mère

Je plonge et regarde sa profondeur
Parfois j’ai peur
Parfois j’aurais le goût de me laisser aller en elle et me transformer en poisson

À ce qu’il parait
L’eau transporte nos mémoires, les mémoires d’anciennes civilisations
J’aime à croire que c’est pour cela que je me sens attirée par elle
Elle m’appelle à m’immerger en elle, à me rappeler notre vie en harmonie

Parfois je crie de toute mes forces sous l’eau en espérant qu’elle entende mon appel de détresse
Parfois je m’assoie à ses côtés et je lui chante une prière
Pour lui témoigner ma reconnaissance d’être présente dans mon existence
Et de toujours laisser couler cette vie

C’est dans cette nature sauvage que je me retrouve
Essayant de fuir cette réalité qui fait trop mal
Hantée par ces traces d’un passé abusé…encore très présent
Dans cette société qui me veut changer en quelque chose que je ne suis pas

Je prie le grand esprit de me donner la force de continuer sur ce chemin
Je prie mes ancêtres de guider chacun de mes pas vers cette voie qu’est ma destinée
Afin de perpétuer ce mode de vie nomade
De réouvrir le passage des sentiers ancestraux

Pour notre survie à tous et celle des futures générations.

Vestiges de la vie à Nitassinan. L’auteure Uapukun Mestokosho-McKenzie debout le long de la rivière Magpie. Photos : Uapukun Mestokosho-McKenzie

Mère terre est là pour nouts tous

Depuis de nombreuses années, nous travaillons à la protection du Nitassinan, notre territoire ancestral, et de Muteshekau shipu, la rivière Magpie. Nous lui avons même attribué des Droits en la reconnaissant comme « personnalité juridique » – une première au Canada. Cette rivière est reconnue internationalement pour ses rapides et ses eaux vives, mais en réalité elle est bien plus que cela.

Là où il y a de l’eau, il y a de la vie. L’eau est ce qui nous unit sur cette planète Terre. Elle voyage autour du monde telle une grande rivière qui coule et continue son cycle éternel pour soutenir la vie.

Protéger la terre, c’est une question de survie; c’est respecter la Vie, tout simplement. Nous avons besoin d’elle, même si elle vivrait probablement mieux sans nous.

Il faut dès maintenant laisser à la terre le temps de se régénérer, de revivre de toute la destruction qu’elle a subi. Il faudrait probablement démanteler certains barrages qui empêchent l’eau de couler et d’accomplir ce pourquoi elle existe. Il faut s’unir, se rassembler et aller occuper ce magnifique territoire. Pour faire revivre ce lien au Nitassinan.

Il faut se décoloniser… déconstruire les structures d’un système défaillant… qui nous conditionne à vouloir toujours plus, alors que nous avons déjà tout à portée de main.

Je viens d’une génération qui souffre de traumatismes intergénérationnels liés au colonialisme, aux pensionnats, au racisme systémique, au génocide culturel, à toutes les injustices de ce monde et à notre lien à la terre qu’ils ont voulu détruire.

J’ai longtemps rêvé à ce moment où ma voix serait écoutée; car c’est aussi la voix des mes ancêtres, et celle de la terre.

Uapukun Mestokosho-McKenzie
Innue de Ekuanitshit