SNAP Canada

La conservation à l’ère de la COVID-19

Jamais la nécessité d’une action ambitieuse pour rétablir un équilibre avec la nature n’a été aussi urgente.

L’année 2020 a commencé sur une note d’espoir. Beaucoup s’attendaient à ce que ce soit la « super-année » de la nature. Des négociations internationales étaient en cours pour définir de nouveaux objectifs mondiaux en matière de biodiversité pour la prochaine décennie, qui devaient être approuvés lors d’une grande conférence des Nations Unies sur la biodiversité en Chine en octobre. Le Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) devait avoir lieu en juin en France. La biodiversité était sous les projecteurs, et nous voyions des lueurs d’espoir que les pays pourraient bientôt convenir d’actions plus ambitieuses pour s’attaquer aux crises interdépendantes de la perte de biodiversité et du changement climatique de manière plus coordonnée. 

Pour revenir au printemps dernier, les conclusions d’un rapport d’évaluation mondiale de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ont fait la une des journaux du monde entier. Cet organisme scientifique international a conclu que la biodiversité décline plus rapidement qu’à aucun moment de l’histoire de l’humanité, que pas moins d’un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction et que le principal facteur direct de cette perte de biodiversité est la perte et la fragmentation de l’habitat. En janvier 2020, le Forum économique mondial (FEM) a publié son évaluation annuelle des risques mondiaux et, pour la toute première fois, cet organisme a indiqué que les cinq principaux risques mondiaux sont de nature environnementale, la perte de biodiversité et l’effondrement des écosystèmes se rangeant au premier plan. Les dirigeants politiques et économiques semblaient enfin prendre la crise au sérieux!

En fait, plusieurs pays, dont la France, le Costa Rica et la Finlande, se sont engagés à défendre des objectifs de conservation ambitieux, notamment la protection d’au moins 30 % des terres et des mers d’ici 2030.

Ici, au Canada, après un an d’efforts de la part de la SNAP et des organisations de conservation partenaires, le premier ministre s’est engagé à protéger 25 % des terres et des océans de notre pays d’ici 2025 et 30 % d’ici 2030 – soit plus du double de la superficie actuellement protégée au cours des cinq prochaines années! Dans leurs lettres de mandat, les ministres ont également reçu l’ordre de mettre en œuvre des solutions au changement climatique fondées sur la nature afin de compléter les mesures de réduction d’émissions de combustibles fossiles, et de défendre la protection de 30 % d’ici 2030 lors de réunions internationales, signalant ainsi l’engagement du Canada à jouer un rôle de chef de file mondial en matière de conservation de la nature. Entretemps, le nouveau Fonds de la nature du Canada, qui fait partie de l’investissement du gouvernement fédéral de 1,3 milliard de dollars pour 2018 dans la conservation de la nature, a finalement été déployé dans tout le pays avec pour objectif de soutenir la création de zones protégées d’un océan à l’autre.

Le personnel de la SNAP était réellement optimiste quant aux progrès réalisés au Canada et à l’élan qui se dessine pour la prochaine décennie.

Mais en quelques semaines, tout a changé. 

Scènes d’une conférence : Le Forum romain était vide. L’aéroport était vide. Deux semaines plus tard, la majeure partie du pays était en quarantaine, alors que le virus se propageait également dans notre pays. Photo : Steven Woodley.

J’étais à Rome fin février, au sein de la délégation canadienne à la séance de négociations de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique pour le nouveau cadre mondial de la biodiversité. Nous sommes arrivés en Italie le jour où les premiers cas de COVID-19 ont été signalés dans le nord du pays. Dix jours plus tard, alors que nous nous dépêchions de rentrer chez nous, le système de santé du nord de l’Italie s’effondrait, et Rome devenait rapidement une ville fantôme. Le Forum romain était vide. L’aéroport était vide. Deux semaines plus tard, la plus grande partie du pays se retrouvait en quarantaine, alors que le virus se propageait également dans notre pays.

Alors que les Canadiens tentaient de faire face au stress de la pandémie et à l’auto-isolement, ils ont afflué dans les parcs et les espaces verts, cherchant du réconfort dans la nature. Mais la distanciation physique est devenue impossible sur les sentiers bondés et dans les stationnements, et de nombreux parcs ont donc été fermés. Il est évident que la COVID-19 a renforcé le fait que la nature est une valeur fondamentale du Canada, que les parcs et les zones protégées sont un service essentiel et que nous avons un besoin urgent d’un plus grand nombre de ces espaces naturels.

Alors que le virus continue de sévir et que le monde lutte collectivement pour trouver une voie vers un avenir incertain, au moins une chose est claire : les crises de la biodiversité et du climat sont toujours aussi graves et nécessitent une attention urgente, alors même que le monde est confronté à une nouvelle menace massive. 

Les scientifiques n’ont pas tardé à souligner que les pandémies comme la COVID-19, qui apparaissent lorsque les virus passent de la faune sauvage aux populations humaines, sont liées à la façon dont nous traitons le monde naturel. Le commerce et la vente d’animaux sauvages constituent une grande partie du problème, tout comme la destruction continue de la nature. Plus nous perturbons et détruisons des écosystèmes sains, plus le risque de contact entre la faune sauvage et l’homme est élevé, et plus le risque de transmission de virus est important. Un point commun se dégage ici : la nécessité de transformer notre relation avec la nature.

Aspirer à l’équilibre
Cela nous ramène à l’idée de 2020 comme une super-année pour la nature. Avec un peu de chance, la super-année se prolongera jusqu’en 2021, et nous entrerons dans l’année avec un objectif encore plus ambitieux. Jamais la nécessité d’une action ambitieuse pour rétablir un équilibre avec la nature n’a été aussi urgente. La vision de la Convention des Nations Unies sur la biodiversité est de vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050. Est-ce possible? Je le crois.

L’automne dernier, un article publié dans la revue PARKS a passé en revue les données probantes qui sous-tendent nos objectifs de conservation sur de vastes zones. Selon ces données, un minimum de 30 % et jusqu’à 70 % ou plus des écosystèmes doivent être protégés afin de conserver la biodiversité. Le document réaffirme la validité scientifique de l’objectif de la SNAP, fixé en 2005, de protéger au moins la moitié des terres publiques, des eaux douces et des océans du Canada. Il souligne en outre l’importance de fixer et d’atteindre le nouveau jalon consistant à protéger et à restaurer au moins 30 % du Canada et de la planète d’ici 2030. Une protection de cette ampleur, et probablement plus à long terme, est essentielle pour enrayer la disparition des espèces, lutter contre la crise climatique et contribuer à réduire le risque de futures pandémies.

Au cours des prochains mois, tandis que le blocage s’atténue, les gouvernements du monde entier vont collectivement mobiliser des billions de dollars pour relancer l’économie mondiale et aider les gens à retrouver du travail. Cela offre une occasion sans précédent au monde entier de collaborer pour investir dans un nouvel avenir plus respectueux de la nature et du climat. Les dirigeants d’un certain nombre de pays, dont l’Union européenne, le Costa Rica et la Chine, ont déjà fait part de leur intention de saisir cette occasion dans leurs plans de relance. Nous devons encourager les gouvernements du Canada à s’aligner sur les dirigeants mondiaux pour faire de même.

Le temps des actions ambitieuses est venu.

À la SNAP, nous travaillons d’arrache-pied avec nos collègues de la communauté de la conservation pour proposer des idées sur la façon dont le Canada peut stimuler l’économie et soutenir l’emploi par des investissements axés sur la conservation. Qu’il s’agisse d’investir dans des programmes de gardiens autochtones et dans l’aménagement du territoire dans le Nord, de restaurer l’habitat du caribou fragmenté par les lignes sismiques, d’investir dans des infrastructures naturelles comme les zones humides et les côtes, ou de construire des passages pour la faune le long des autoroutes, nous recueillons et évaluons des idées provenant de partout au Canada pour aider les gouvernements à investir dans un avenir respectueux de la nature.

En même temps, nous continuons de fournir des recommandations sur la manière dont les gouvernements canadiens peuvent atteindre l’engagement du Canada de protéger 30 % des terres et des océans d’ici 2030, avec un objectif de 25 % en 2025. Nous le faisons avec une confiance renouvelée dans le fait que nous agissons dans l’intérêt des Canadiens. Un sondage réalisé au début du mois de mars de cette année par nos collègues de la Campagne internationale pour la conservation de la forêt boréale (IBCC) a révélé que 90 % des Canadiens soutiennent l’engagement du gouvernement fédéral de protéger 30 % de nos terres et de nos océans d’ici 2030.

Actuellement, notre équipe travaille à distance d’un bout à l’autre du Canada, mais elle reste très connectée et engagée pour s’assurer que l’élan créé ces dernières années continue de croître, et que d’ici 2021, le plein potentiel de la « super année pour la nature » soit réalisé.

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Un extrait de cet essai d’Alison Woodley, conseillère stratégique principale de la SNAP, est paru dans le numéro du printemps et de l’été 2020 de Canadian Wilderness, une revue accessible à tous les donateurs de la SNAP.